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L’effet Covid: les citadins veulent s’installer à la campagne

Rats des villes ou rats des champs? Si le débat entre ces frères ennemis remonte à la nuit des temps et n’est pas près de se terminer, il vient de retrouver une nouvelle vigueur dans le sillage de la Covid qui va bientôt entrer, au mois de mars prochain, dans sa deuxième année. Avec ses confinements à répétition, son couvre-feu et ses restrictions de toute sorte, à commencer par la fermeture des cafés, des restaurants et des magasins, le spectre Covid incite de plus en plus de gens à quitter la ville pour retrouver le charme et les plaisirs de la nature.

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Le célèbre psychiatre Boris Cyrulnik n’a cessé de le rappeler avec son sourire pince-sans-rire: le confinement obligatoire en France, au printemps puis en hiver, ce n’était pas la même chose pour tout le monde, aussi bien mentalement que psychologiquement. Il y a ceux qui se sont retrouvés reclus dans leur grand appartement ou dans leur belle maison à la campagne, avec un jardin et parfois une piscine. C’était d’ailleurs son cas, puisqu’il a la chance d’habiter dans une vaste villa au bord de la mer, près de Toulon. Et puis il y a l’immense majorité des gens qui se sont cloîtrés dans leur appartement plus ou moins exigu, sans perspective, sans balcon, avec comme seuls contacts extérieurs les bruits de leurs voisins et de la rue, et avec comme seul horizon les murs à mourir de tristesse des immeubles alentour. Si les premiers ont vécu le confinement comme des vacances un peu particulières, agrémentées souvent par les petites distractions du télétravail, les seconds l’ont traversé comme une épreuve douloureuse et injuste.


La tentation de la campagne

Même si l’épisode de la Covid n’est pas encore terminé, on constate d’ores et déjà une première retombée un peu partout, en Suisse comme en France et ailleurs en Europe: les citadins ont eu très peur pendant le confinement et rêvent désormais de quitter la ville pour s’installer à la campagne. Ils ont eu l’impression d’avoir été enfermés, du jour au lendemain, dans un espace clos et anxiogène; ils veulent retrouver à l’avenir le sentiment rassurant et les douceurs de la campagne: l’espace, la nature, le calme, le rythme des saisons, la proximité des champs, les vignes, les nuages… Tout se passe en fait comme si le confinement avait ravivé une envie qui flottait déjà puissamment dans l’air du temps, celle de vivre autrement, de manière plus simple, plus conviviale, plus profonde. L’utopie à la mode, l’utopie verte, a définitivement supplanté la vieille utopie marxiste qui prétendait changer le monde en domptant la nature! Un véritable changement de civilisation que le philosophe et essayiste français Régis Debray, ex-compagnon de Che Guevara dans les maquis communistes en Bolivie au cours les années 60, devenu avec l’âge une sorte de vieux conservateur bougon, avait parfaitement perçu et expliqué dans un petit livre, «Le siècle vert», paru chez Gallimard en décembre 2019, au moment même où l’épidémie de Covid commençait silencieusement à Wuhan, en Chine, avant de se propager dans le monde entier.


L’angoisse du futur et celle du passé

Il y avait déjà, depuis une bonne vingtaine d’années, le discours ambiant sur le réchauffement de la planète, le dérèglement climatique, la biodiversité, l’empreinte carbone. Mais il y avait aussi plus profondément, sans que personne ne s’en doutât, une angoisse enfouie dans l’inconscient collectif, celle des grandes pestes du Moyen Âge qui avaient décimé le tiers ou la moitié de la population européenne, fauchant indistinctement jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants. Mais comment imaginer que ces deux peurs viscérales, celle du futur et celle du passé, allaient se rencontrer soudain et se renforcer l’une l’autre avec l’apparition d’un virus peu létal? Comment imaginer que cette peur panique allait tout emporter sur son passage et mettre à l’arrêt quasiment tous les pays de la planète? «Ignorant que ce que nous détruisons nous détruit nous-mêmes, expliquait Régis Debray avant le virus, le locataire de la planète qui se prenait pour son propriétaire se retrouve en squatter insolvable, menacé d’expulsion. La définition des bonnes manières s’est renversée. S’émanciper, hier, c’était s’affranchir des fléaux naturels, aujourd’hui, c’est s’affranchir du marteau-piqueur pour épouser la photosynthèse. Nous quittons les chantiers pour embrasser les arbres. Nous envions la bonne conduite de la panthère et de l’orchidée: la première ne laisse rien traîner et la seconde émet de l’oxygène, et non, comme nous, du gaz carbonique».


Redistribution des cartes

Quitter la pollution et les lourdeurs de la ville pour retrouver la respiration de la campagne: la tendance se renforce chaque jour alors que la menace du virus, traqué par les vaccins, se fait moins virulente. Mais de la ville à la campagne, c’est-à-dire de la réalité de la ville au rêve de la campagne, le chemin est plus complexe et plus sinueux qu’il n’y paraît. Les frontières sont un peu floues, ambivalentes, changeantes, et elles s’inscrivent davantage dans les têtes que sur le terrain. Musicologue et écrivain, membre de l’Académie française, esprit subtil et pénétrant, Philippe Beaussant se moque volontiers de «ceux qui croient naïvement que ce qui est blanc n’est pas noir et que ce qui n’est pas la ville est la campagne». Mais si la campagne n’est pas le contraire de la ville, où peut-on donc échapper à la ville? La Covid a redistribué les cartes, mais c’est aussi pour mieux les embrouiller. Car si elle a redonné le goût de la nature, c’est le goût d’une nature invisible et insaisissable, une nature imaginaire qui se dérobe sans cesse. L’Occident veut désespérément être vert, reprend Régis Debray, mais il veut l’être à sa manière, «soft, light et fun». Le café du village, la vieille école, l’église, les champs qui sentent le purin et les fermes qui sentent les bêtes ne lui plaisent pas toujours… Les citadins veulent se libérer des demi-dieux qu’ils ne supportent plus - la voiture, le stress, l’agressivité, la vitesse - et retrouver une sensibilité, une qualité d’émotion, une ouverture du cœur et de l’esprit. Méditation, silence, zénitude: les codes éternels de la campagne titillent les rats des villes.


Par François Valle


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